Le 15 décembre 2021, la commission des lois du Sénat a examiné la proposition de loi déposée par le député Sylvain Waserman sur la protection des lanceurs d’alerte. Cette proposition, issue de plus de deux années de mobilisation de la société civile et adoptée à l’unanimité des groupes politiques en première lecture à l’Assemblée nationale, porte en elle l’espoir d’un réel renforcement des droits des lanceurs d’alerte. Or, les propositions des sénateurs, instrumentalisés par les lobbies agricoles, ouvrent la voie à des régressions extrêmement inquiétantes.
Le Sénat envisage en effet de restreindre considérablement le champ des personnes susceptibles d’obtenir une protection. Seuls les lanceurs d’alerte ayant dénoncé des violations du droit, ou de l’objectif poursuivi par ces règles de droit, pourront être protégés, alors que la loi Sapin 2 protège toute personne signalant ou révélant une « menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général ». Avec cette définition, un lanceur d’alerte comme Antoine Deltour, qui a révélé l’optimisation fiscale agressive des multinationales, se verrait refuser toute protection. Dénoncer les effets désastreux et le manque d’informations sur une substance chimique, un médicament autorisé sur le marché, tel que le Médiator ou la Dépakine, pourrait ne pas entrer dans la définition de l’alerte et priver les lanceurs d’alerte en question de moyens de se défendre. La définition, à rebours de la loi Sapin 2, restreint également le droit d’alerte au cadre professionnel – excluant ainsi l’usager, le patient, le client ou le simple citoyen qui étaient auparavant protégés.
Le texte proposé par la commission des lois propose par ailleurs de supprimer la protection des associations et syndicats « facilitateurs d’alerte ». Or, lorsqu’elles apportent leur aide au lanceur d’alerte, les associations et les syndicats jouent un rôle essentiel. Ils permettent de préserver son anonymat, donnent des moyens supplémentaires d’agir, des expertises, des ressources… dont il ne dispose pas à lui-seul. Priver les organisations de protection constitue une atteinte grave à l’efficacité de celle accordée aux individus.
Enfin, alors que la loi « Waserman » prévoyait une procédure permettant de rompre la précarité financière des lanceurs d’ alerte en permettant au juge de forcer les étouffeurs d’alerte à verser au lanceur d’alerte une provision pour faire face aux frais de justice, le Sénat vide largement le mécanisme de sa substance. D’une part, les étouffeurs d’alerte pourront échapper à leurs obligations en invoquant le fait que la mesure prise à l’égard du lanceur d’alerte était « dûment justifiée », ce qui ouvre la voie aux dérives. D’autre part, la provision ne sera plus acquise définitivement : les lanceurs d’alerte n’ayant pas eu gain de cause devront rembourser cette dernière. Avec une telle épée de Damoclès au-dessus de la tête, qui se risquera à la demander ?
Source : Maison des lanceurs d’alertes, 16/12/2021